Rattrapés par des combats s’étendant désormais à leurs villages dans le nord de l’Ethiopie, des membres de la minorité ethnique Qemant disent n’avoir pas eu d’autre choix que de fuir au Soudan voisin.
« Des maisons ont été brlées, et des gens tués avec des machettes », affirme Emebet Demoz, qui a fui le mois dernier.
« Nous n’avons même pas pu emporter les corps et les enterrer », ajoute cette femme d’une vingtaine d’années qui a trouvé refuge dans un centre de transit dans le village soudanais de Basinga, à la frontière.
Comme Emebet Demoz, quelque 3.000 Qemants sont arrivés au Soudan ces dernières semaines, selon des responsables soudanais.
Depuis fin juillet, les affrontements entre l’armée éthiopienne et les forces du Front de libération du Peuple du Tigré (TPLF) ont gagné plusieurs régions du nord du pays, dont l’Amhara et celle de l’Afar, poussant ses habitants, dont les Qemants, sur la route de l’exil.
Les Qemants ont réclamé ces dernières années une autonomie vis-à-vis des Amharas, une revendication donnant lieu à de fréquents affrontements.
– « Prendre parti » –
Or le peuple Amhara a rallié l’offensive lancée par le Premier ministre Abiy Ahmed au Tigré, en vue notamment de récupérer des territoires perdus il y a des décennies.
« Les combattants Amharas soutenus par le gouvernement ont voulu nous expulser de nos terres », lance Emebet Demoz. »Ils nous tuent car nous sommes une minorité ethnique ».
Un porte-parole du gouvernement régional de l’Amhara a catégoriquement nié que cette communauté était visée.
« Les Qemants et les Amharas sont un même peuple vivant ensemble depuis des milliers d’années », a déclaré Gizachew Muluneh.
Pour lui, ceux qui se disent réfugiés sont en fait des personnes soutenant le « groupe terroriste TPLF ».
Selon les Nations unies, les combats ont déjà déplacé près de 200.000 personnes de la région de l’Amhara, où les violences accentuent le fossé entre les deux communautés.
« Les Amharas voulaient qu’on prenne leur parti contre les Tigréens », raconte Balata Gochi, qui a fui le nord-est de l’Ethiopie fin juillet.
Mais « nous avons refusé de prendre parti alors ils nous ont combattus », a-t-il ajouté.
A Basinga, où sont hébergés un millier de réfugiés, Emebet Demoz couche sous une bâche en plastique qui ne la protège ni des fortes pluies saisonnières ni de la chaleur étouffante de l’été.
Mais « au moins » ici, « nous sommes en sécurité », assure-t-elle.
Interviewés par l’AFP à Basinga et aux alentours, les réfugiés Qemants affirment être victimes d’un « conflit ethnique ».
Ralliés aux forces gouvernementales, des combattants Amharas souhaitent mettre fin à un litige foncier de longue date avec le TPLF, qu’ils accusent d’avoir confisqué des terres durant ses trois décennies au pouvoir, auxquelles l’arrivée de M. Abiy au pouvoir en 2018 a mis fin.
Bien que ce dernier a proclamé la victoire en novembre après la prise de Mekele, la capitale du Tigré, par ses troupes et leurs alliés Amharas, le TPLF a reconquis une grande partie de la région en juin.
– « Prétexte » –
Pour Kasaw Abayi, un autre réfugié Qemant, les Amharas ont utilisé le conflit au Tigré comme « prétexte » pour prendre le contrôle de nouvelles terres.
« Ils considèrent toute la zone comme la leur.Ils ne veulent ni de nous (Qemants) ni des Tigréens », estime cet ouvrier du bâtiment quinquagénaire, originaire du village de Gobay.
Alors que la région du Tigré est au coeur d’une grave crise humanitaire, l’aide internationale peine à parvenir dans la région, selon les Nations unies.
Or, le débordement « imprévisible » du conflit aux régions voisines de l’Amhara et de l’Afar fait craindre une augmentation du nombre de personnes dépendant de l’aide humanitaire, s’est alarmé récemment le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU (Ocha).
Au Soudan, les autorités redoutent elles l’arrivée de nouvelles vagues de réfugiés éthiopiens, qui mettraient encore plus à mal l’économie déjà en lambeaux du pays.
« Nous nous attendons à l’arrivée de davantage de Qemants et d’autres groupes ethniques », a affirmé Mohamed al-Khair, de la Commission soudanaise des réfugiés à Basinga.
Le pays accueille déjà 60.000 réfugiés venus d’Ethiopie, selon les derniers chiffres de l’ONU.
Quant aux Qemants sur place, ils ont peu d’espoir de retourner chez eux dans l’immédiat.
« Comment peut-on y retourner tant que ce gouvernement est toujours en place ? », s’interroge Emebet Demoz.
AFP