En Guinée, le football féminin végète dans l’ombre du désintérêt institutionnel et des barrières socioculturelles. Malgré un vivier de talents inexploité, les joueuses se heurtent à un manque criant d’organisation, d’infrastructures et de soutien. Des voix s’élèvent pour dénoncer cette négligence, appelant à une refonte urgente pour offrir un avenir aux passionnées du ballon rond.
Le football féminin guinéen est un chantier inachevé, miné par une gestion inefficace et un manque de vision stratégique. Des années de promesses non tenues ont laissé les athlètes dans l’incertitude, sans compétitions régulières ni perspectives claires. « De nombreuses années sont passées et ce football n’a toujours pas pris ses marques », regrettent les acteurs du milieu, qui pointent du doigt l’inaction de la Fédération guinéenne de football (Féguifoot). Faute d’investissement, les sélections nationales accumulent les échecs, et les clubs peinent à briller sur la scène africaine.
Des sélections en déroute et des clubs invisibles
Les contre-performances s’enchaînent pour les équipes nationales féminines, tandis que les clubs guinéens sont absents des compétitions interclubs de la CAF. Contrairement à des voisins comme le Ghana, le Sénégal ou la Sierra Leone, qui investissent massivement dans le secteur, la Guinée reste figée. Un encadreur anonyme dénonce un abandon total : « Sans championnat régulier, on a encore du chemin à faire. Il y a beaucoup de joueuses talentueuses en Guinée, mais ce football est complètement oublié. Les dirigeants de la Fédération se servent au lieu de servir les acteurs. »
L’exemple récent de la finale du championnat national illustre ce chaos : Espoir de Yimbaya, victorieux face à l’AS Bolonta, n’a pas pu participer à la Ligue des champions féminine de la CAF, faute de conformité aux normes. Ce fiasco révèle un professionnalisme défaillant, poussant de nombreuses joueuses à émigrer pour survivre et soutenir leurs familles.
Discrimination et inégalités flagrantes
Le football féminin semble relégué au second plan, victime d’un traitement inégal par rapport à son pendant masculin. Un observateur du milieu n’hésite pas à parler de discrimination : « C’est deux mondes différents entre hommes et femmes. Exemple : les éliminatoires de la Coupe du monde féminine junior contre le Bénin. Les Béninoises ont eu trois mois de préparation, nous rien. Résultat : une défaite 9-4. »
Ce déséquilibre s’étend à l’organisation : absence d’officier média pour les sélections, retraits de compétitions pour « manque de moyens », et primes inexistantes pour les joueuses. « Nous vivons dans un pays où l’on dispute des éliminatoires sans championnat régulier« , s’indigne l’observateur. La Féguifoot est appelée à agir pour corriger ces injustices et propulser le secteur vers l’excellence.
Les chaînes socioculturelles
Au-delà des institutions, les stéréotypes freinent les vocations. Dans une société conservatrice, une fille footballeuse est souvent vue comme « dévergondée » ou sans ambition. Fatoumata Binta Bérété, présidente de la Ligue guinéenne de football féminin, explique : « La culture reste marquée par les stéréotypes. On considère que le football n’est pas pour les filles, ce qui décourage beaucoup de jeunes. »
Certains encadreurs pointent aussi le comportement de quelques joueuses, qui alimente les préjugés : « Leur attitude pousse les parents à refuser. Elles refusent de mettre du sérieux. » Pourtant, des pionnières comme Marie Camara défient ces normes. L’internationale guinéenne raconte : « Les gens se moquaient de nous. Ma tante m’a interdit de jouer, mais mon père m’a soutenue. Le soutien familial est fondamental pour persévérer. » Mme Bérété note une évolution : « Les mentalités changent, avec un engouement croissant chez les jeunes filles. »
Infrastructures : le désert guinéen
Les conditions de pratique aggravent la situation. Sans terrains dédiés ni équipements adéquats, les équipes s’entraînent dans la précarité, souvent en partageant des espaces avec les hommes. « C’est un frein majeur. Les filles n’ont ni terrain ni espace sécurisé », déplore Mme Bérété, qui lance un appel aux autorités : « Chaque région doit disposer de structures dignes pour élever le niveau du football féminin. »
Malgré ces obstacles insurmontables, la détermination des footballeuses guinéennes reste intacte. Animées par la passion, elles luttent pour un avenir où leur sport ne sera plus un parent pauvre. Il est temps que la Guinée investisse dans ses talents féminins, pour transformer les espoirs brisés en victoires éclatantes sur la scène africaine et mondiale. Sans action concertée, ce potentiel restera éternellement en jachère.
Mohamed Cissé