Depuis le déclenchement du conflit meurtrier au Soudan en avril 2023, plus d’un million de personnes ont trouvé refuge en Égypte. Mais ce déplacement massif n’a pas seulement déplacé des vies et des familles : il a aussi transporté avec lui des pratiques culturelles profondément enracinées, parmi lesquelles les mutilations génitales féminines (MGF), interdites mais toujours très répandues.
Une nouvelle étude conjointe réalisée par Equality Now et Tadwein for Gender Studies , intitulée Les mutilations génitales féminines chez les migrantes soudanaises du Grand Caire : perceptions et tendances , mises en lumière les réalités complexes de cette pratique au sein de la communauté soudanaise exilée en Égypte. Malgré les interdictions légales en vigueur dans les deux pays, les taux de prévalence des MGF restent parmi les plus élevés au monde : environ 86 % des femmes âgées de 15 à 49 ans sont excisées tant au Soudan qu’en Égypte.
Des voix de plus en plus opposées aux MGF
Les résultats de l’étude révèlent une évolution des mentalités, surtout chez les jeunes et les femmes éduquées. Nombre d’entre elles, ayant personnellement subi des MGF, rejetant désormais ces pratiques pour leurs filles. Les hommes aussi, de plus en plus conscients de l’impact des MGF sur la vie intime et conjugale, y voient un obstacle plutôt qu’une norme à préserver.
Cependant, cette opposition croissante se heurte à une réalité sociale tenace. Les MGF demeurent, pour une partie des familles, un marqueur d’identité culturelle, un gage d’honneur, de pureté et un passage obligé pour au mariage. Dans un contexte migratoire instable, certaines familles redoublent d’efforts pour conserver leurs traditions, parfois au mépris de la loi.
L’effet ambivalent de la migration
La chercheuse Dre Dima Dabbous , d’Equality Now, souligne la double facette de la migration : « C’est à la fois un défi et une opportunité d’abandon des MGF. Comprendre les réactions des communautés face à leur nouvelle réalité est fondamentale pour élaborer des interventions efficaces. »
L’exil en Égypte, loin de couper les migrants de leurs pratiques, a donné naissance à un microcosme soudanais, surnommé le petit Soudan . Cette réponse communautaire peut favoriser le maintien des MGF, mais aussi créer un terrain propice au changement, notamment grâce aux nouvelles dynamiques sociales et à l’influence des lois égyptiennes.
Si la loi égyptienne prévoit de lourdes peines pour les auteurs d’excision – y compris les professionnels de santé, de plus en plus sollicités pour médicaliser ces pratiques, elle reste peu appliquée. Le silence des familles, par peur de stigmatisation ou de poursuites judiciaires, empêche souvent la dénonciation des cas.
La médicalisation : un faux progrès
L’étude pointe aussi un phénomène préoccupant : la médicalisation des MGF. En Égypte, 74 % des excisions sont réalisées par des professionnels de santé. Perçue comme plus sûre, cette pratique ne diminue pourtant ni les douleurs physiques ni les traumatismes psychologiques. Elle reste, selon les auteurs, une violation grave des droits humains, quelle que soit la main qui la pratique.
Un espoir dans les nouvelles priorités des mères
Malgré les obstacles, des signes encourageants émergent. Selon Dre Amal Fahmy , de Tadwein, « de plus en plus de femmes préfèrent consacrer leurs ressources à l’alimentation, au logement et à l’éducation, plutôt que de se plier à une tradition mutilante. » Le contexte économique difficile et les priorités urgentes liées à la survie freinent, parfois temporairement, la transmission de la pratique.
Cependant, des incitations financières – telles que l’augmentation des chances de mariage pour une fille excisée – peuvent encore alimenter le phénomène, d’autant plus que certains sages-femmes traditionnelles dépendent économiquement de cette activité.
Une stratégie communautaire pour un abandon durable
Pour espérer faire reculer durablement les MGF, l’étude recommande une approche centrale sur la communauté. Il s’agit d’impliquer les dirigeants traditionnels, les grands-mères, les sages-femmes et les chefs religieux, pour briser les mythes, notamment ceux qui attribuent faussement une légitimité religieuse aux MGF.
La sensibilisation juridique et médicale, tout comme l’appui aux mères pour résister aux pressions sociales, sont des leviers essentiels. Un plaidoyer fondé sur les droits humains et l’égalité entre les sexes doit également guider les politiques publiques et les actions des ONG.
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